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Une révolution agricole comme vecteur pour pallier la crise multidimensionnelle qui sévit en Haïti

L’agriculture est la mère de tous les arts: lorsqu’elle est bien conduite, tous les autres arts prospèrent; mais lorsqu’elle est négligée, tous les autres arts déclinent, sur terre comme sur mer.» (Xénophon, L’Economique, V)

Cette réflexion n’est pas de la lecture facile, mais j’essaie d’équilibrer une évaluation honnête et sans fard de la crise actuelle en Haïti avec des suggestions précises pour remédier graduellement à la situation.

Alors que les soulèvements populaires qui traversent actuellement la Bolivie, le Chili et l’Équateur ont une portée nationale, le soulèvement en Haïti est en train de devenir une crise humanitaire internationale majeure alors que le pays manque de nourriture et que des centaines de milliers, voire des millions, souffrent de la faim. et je ne sais pas quand ils mangeront encore. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies(PAM) a averti qu’environ deux tiers des 12 millions d’habitants d’Haïti ont besoin d’une aide alimentaire immédiate, dont 5 millions aujourd’hui « au bord de la famine »

Les petits agriculteurs comme celui-ci ont autrefois nourri Haïti, mais le pays importe désormais jusqu’à 70% de sa nourriture.

Comment cette crise alimentaire s’est-elle produite et que peut-on faire pour aider le pays à se relever?
La réponse se trouve les deux faces d’une réalité appelée agriculture. Et plus spécifiquement, l’agriculture telle qu’elle est pratiquée dans les quelque 500 000 petites exploitations de 2 hectares ou moins constituant l’épine dorsale de l’économie rurale du pays, même si celle-ci est sous-performante.

Haïti importe maintenant jusqu’à 70% de sa nourriture, y compris 85% du riz, qui est l’aliment de base le plus important du pays. Mais à la fin des années 1980, les agriculteurs haïtiens produisaient presque toute la nourriture du pays. A cette époque, l’agriculture représentait environ 35% du PIB, 24% de toutes les exportations et 66% de la population active. Tout en reconnaissant que le pays avait alors désespérément besoin d’une réforme des institutions et des droits de l’homme, Haïti était néanmoins une économie agricole autosuffisante.

Qu’est ce qui a concrètement changé?

Les États-Unis ont tordu le bras du gouvernement haïtien au cours des années 80 pour l’obliger à abolir les tarifs douaniers qui protégeaient les agriculteurs d’Haïti. Du jour au lendemain les paysans qui nourrissaient le pays en riz depuis des siècles ne trouvaient plus preneurs pour leur production car le riz américain produit par des agriculteurs subventionnés de l’Arkansas était désormais déversé sur Haïti à un prix inférieur aux coûts de production du riz d’Haïti. Plus besoin de bombes ni de soldat pour détruire l’économie d’un pays: le « dumping » est tout aussi efficace et offre en plus à l’agresseur la possibilité de se donner le beau rôle: Il peut poser en « sauveur » car il envoie de la nourriture à ces « pauvres haïtiens ». Lesquels, ne pouvant plus vivre de leur exploitation agricole s’exilent à Port-au-Prince et deviennent un « cheap labour » bien utile aux industriels internationaux (États-Uniens en tête) qui opèrent des « sweat shop » dans les zones franches de la capitale. La boucle est bouclée.

Il ne reste plus qu’à supprimer progressivement toutes les formes de soutien aux petits exploitants agricoles d’Haïti. Suppression de la formation agricole, des services financiers, des tarifs de protection, de la recherche sur les cultures, de l’élevage, de l’irrigation soutenue par le gouvernement (certains existent encore, mais beaucoup sont en mauvais état et n’ont pas été étendus depuis des décennies) et des sources fiables et abordables de semences et fournitures.

Lorsqu’un petit pays comme Haïti dépend des importations, il devient vulnérable. Il  en découle l’inflation, la pénurie de carburant ou les perturbation des ports. Nous avons maintenant une combinaison de ces trois facteurs en même temps, ainsi que des rendements inférieurs à la moyenne liés au réchauffement climatique dans des exploitations déjà sous-productives, ce qui entraîne des pénuries alimentaires. Ajoutez à cela le triomphe des gangs armés qui occupe actuellement plus de 80% territoire de la capitale d’Haïti et une partie du département de L’Artibonite.

Revenons donc à la question de savoir ce qui peut être fait pour aider: je suggérerais trois catégories d’aide.
La première consiste à envoyer une aide alimentaire en provenance de l’extérieur du pays, ce qui impliquera également le Programme alimentaire mondial (PAM) libérant à cette fin les réserves qu’il a actuellement en Haïti (ce qu’il a déjà commencé à faire). Mais il n’y a pas assez de nourriture dans ces réserves pour faire face à l’ampleur de la crise. Le défi à relever consistera à déplacer cette aide alimentaire dans le pays avec des gangs armés contrôlant les principales autoroutes. Cela est du ressort des gouvernements et des institutions internationales.

La deuxième chose que je suggérerais, et qui peut sembler déphasée par rapport à la gravité de la crise, consiste à apporter une aide en modifiant le récit concernant Haïti. À tous les journalistes, je fais cette demande: arrêtez de parler d’Haïti comme «la nation la plus pauvre de l’hémisphère occidental». C’est un pays culturellement riche avec une histoire unique et ils suivent leur propre chemin parfois difficile en tant que démocratie émergente. Les Haïtiens méritent du respect et un soutien à la mesure du courage et de la grandeur d’âme dont ils font preuve face aux gigantesques défis qu’ils relèvent avec courage.

La troisième action que je voudrais suggérer est un effort à long terme, concerté et coordonné d’une coalition d’ONG, d’entreprises et du gouvernement d’Haïti visant à relancer l’agriculture paysanne dans tout le pays et à la rendre à nouveau productive. Bien qu’une solution purement haïtienne dirigée par le gouvernement soit le meilleur des scénarios, cela ne s’est pas produit au cours des 30 dernières années et il est peu probable qu’il se manifeste spontanément dans un proche avenir.

Le gouvernement, dans son état actuel, n’a tout simplement pas la capacité de le faire seul. Il aura bientôt encore moins de capacité à cause du report du référendum et les élections générales.

Sans attendre que le gouvernement organise des élections crédibles dans le pays afin d’établir l’ordre démocratique et constitutionnel (ce qui pourrait prendre un peu de temps), des techniciens hautement compétents du ministère de l’Agriculture pourraient travailler à l’élaboration d’une nouvelle stratégie agricole centrée sur les petits exploitants, de concert avec des ONG haïtiennes et internationales qui travaillent dans le secteur agricole, ainsi que plusieurs entreprises agricoles.

Si l’occasion se présentait, une telle coalition pourrait élaborer une stratégie à mettre en œuvre communauté par communauté à court terme. Le leadership à long terme de l’opération reviendrait au ministère de l’Agriculture dès qu’il serait en mesure d’assumer ce rôle et un élément clé de la stratégie dès le départ devrait être le renforcement des capacités du ministère lui-même.

Restaurer la prospérité agricole d’Haïti n’est pas sorcier, mais les affaires ne se déroulent pas comme d’habitude. Il ne faudra rien de moins qu’une révolution agricole à grande échelle pour redresser la situation. Certes, suffisamment de citoyens ont maintenant payé le prix de l’insécurité alimentaire. Il appartient au reste d’entre nous d’agir maintenant et sans délai.

Me. Saint-Alex NOËL,
Coordonateur Général adjoint OREAYITI

Auteur: Saint-Alex Noël

Avocat & Coordonnateur Général Adjoint OREAYITI

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